Laure, 16 ans, passe des aprĂšs-midis entiers dans la librairie Escapade mĂȘme si elle l'avoue, elle cache parfois la couverture un peu osĂ©e de certains de ses livres de romance.
Une devanture rose, une queue qui serpente le long de la rue, des centaines de tĂ©lĂ©phones qui filment l'Ă©vĂ©nement⊠Non, toutes ces personnes ne sont pas lĂ pour lâavant-premiĂšre du film Barbie mais bien pour acheter des livres de romance. The Ripped Bodice, une librairie spĂ©cialisĂ©e dans ce genre littĂ©raire Ă Brooklyn, attire les foules et cartonne sur Tiktok depuis quelques semaines. Pas Ă©tonnant, la demande est forte. Alors quâen 2017 et 2018, la romance reprĂ©sentait le troisiĂšme plus gros chiffre de vente de la littĂ©rature en France selon le SNE (Syndicat national de lâĂ©dition), ces librairies sont rares. Pourtant, celles spĂ©cialisĂ©es en science-fiction et en fantastique courent les rues. Mais alors, pourquoi la romance, câest si mal vu alors que ça se vend si bien ?Â
La romance est en trĂšs grande majoritĂ© lue par les femmes. Vous connaissez la maison dâĂ©dition Harlequin et ses couvertures flashy, spĂ©cialisĂ©e dans la romance. Sa directrice Ă©ditoriale, Karine Lanini affirmait en 2018 dans une interview Ă France Info que plus de 90 % de ses lecteurs sont des femmes. Le clichĂ© est donc vrai.Â
Mais ce qui dĂ©range, câest aussi quâelle soit Ă©crite pour les femmes par les femmes. Marguerite Duras dĂ©nonçait : âLes hommes ne le supportent pas : une femme qui Ă©critâ. Quand la cĂ©lĂšbre J.K Rowling a voulu faire publier sa saga magique, Harry Potter, son Ă©diteur lui a conseillĂ© dâutiliser ses initiales. Comme si Poudlard, son basilic et sa forĂȘt interdite intĂ©resseraient moins les petits garçons si racontĂ©s par une femme.
En plus dâĂȘtre lues et Ă©crites par des femmes, les romances intĂ©ressent davantage les plus jeunes d'entre elles. DâaprĂšs une Ă©tude dâIPSOS et du Centre national du livre (CNL), en 2023, la romance est le genre prĂ©fĂ©rĂ© de 40 % des 20-25 ans. La culture aimĂ©e par les adolescentes et les jeunes femmes nâa jamais eu trĂšs bonne rĂ©putation. De Twilight aux One Direction ou, plus rĂ©cemment, Olivia Rodrigo, elle est souvent observĂ©e avec condescendance par les plus ĂągĂ©s.
Cette problĂ©matique nâest pas nouvelle. On retrouve des rĂ©fĂ©rences au genre dans plusieurs Ćuvres classiques âCe n'Ă©taient qu'amours, amants, amantes, dames persĂ©cutĂ©es s'Ă©vanouissant dans des pavillons solitairesâŠâ racontait dĂ©jĂ Flaubert en 1856 pour dĂ©crire les lectures dâEmma Bovary.
Aujourd'hui, elles sont nombreuses Ă vouloir retourner la tendance en affichant fiĂšrement leurs lectures. Bien loin de se cacher, comme câĂ©tait le cas il y a encore quelques annĂ©es, la romance sâassume de plus en plus et devient lâun des styles littĂ©raires les plus discutĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux. Des milliers de jeunes lectrices partagent maintenant leurs recommandations en public au sein de la communautĂ© Booktok sur Tiktok ou sur Instagram. Et ça cartonne ! Le genre est en constante expansion. Des maisons d'Ă©dition dĂ©diĂ©es uniquement Ă la romance se crĂ©ent chaque semaine. Câest le cas de Plume du Web, spĂ©cialisĂ©e dans l'Ă©dition dâauteurs de romances ayant fait leurs premiers pas sur internet. En bref, les femmes Ă©crivent de la romance. Elles en lisent aussi, et le revendiquent de plus en plus.
đ Une histoire de chiffres
5 % des hommes lisent de la romance
MĂȘme si les femmes sont les principales consommatrices de romance, certains hommes aussi en lisent. En 2023, ils Ă©taient tout de mĂȘme 5 % Ă affirmer avoir lu au moins un livre de romance âde type Harlequinâ au cours des 12 derniers mois dâaprĂšs lâĂ©tude âLes Français et la lectureâ dâIPSOS et du Centre national du livre (CNL).Â
đŁïž Le salon littĂ©raireÂ
Marie Wietzorrek et Roxane Puyou-Megnou travaillent depuis six mois dans une librairie spécialisée et sont fans de romances.
Escapade est une nouvelle librairie spécialisée dans la romance, la fantaisie et la science-fiction. Elle a ouvert il y a six mois, rue de Pùques à Strasbourg. Marie Wietzorrek et Roxane Puyou-Megnou y sont libraires. Nous avons posé des questions à ces deux grandes lectrices de romances.
đ Pourquoi crĂ©er une librairie spĂ©cialisĂ©e dans la romance ?
Marie Wietzorrek : Parce que câest quelque chose qui fonctionne. Il y a encore quelques annĂ©es que la romance nâĂ©tait pas de la vraie littĂ©rature, que câĂ©tait des romans de gare pour les midinettes. Câest un genre qui est en constante expansion, ça nâarrĂȘte pas avec Booktok, Instagram. CrĂ©er une librairie spĂ©cialisĂ©e, câest aussi une maniĂšre de donner un endroit Ă tous les lecteurs et lectrices de romances afin quâils puissent se retrouver. On veut mettre en avant tous les genres littĂ©raires qui sont un peu mal vus par les gĂ©nĂ©ralistes.
đ Les lectrices ont-elles parfois un peu honte dâacheter de la romance en librairie ?
Roxane Puyou-Megnou : On a beaucoup de personnes qui viennent s'asseoir pour lire. Ils nous taguent sur leurs stories en disant que câest leur « safe place ». Ici, câest vraiment un endroit oĂč personne ne va ĂȘtre jugĂ©. On Ă©change Ă©normĂ©ment avec les clients. Câest un lieu oĂč tout le monde peut se retrouver, câest un peu comme une petite communautĂ©. On a essayĂ© de casser le cĂŽtĂ© librairie ancienne, oĂč on chuchote. Le vouvoiement se transforme vite en tutoiement. La clientĂšle est jeune et est prĂ©sente sur les rĂ©seaux, donc nous aussi. On essaie de faire au moins un Tiktok par jour.
đ Quelle est lâĂ©volution de la romance depuis quelques annĂ©es ?
M.W : Il y a toujours de la romance classique, comme Marc LĂ©vy, mais câest davantage pour les personnes de plus de 40 ans. Maintenant la romance est beaucoup plus dĂ©bridĂ©e, on en parle beaucoup plus. Et donc les auteurs se lĂąchent. Ils cassent un peu les codes, et remettent le genre au goĂ»t du jour. Câest des protagonistes auxquels les gens vont pouvoir sâidentifier facilement. Par exemple, certains romans dĂ©noncent la grossophobie et prĂŽnent le Body Positive. Moi, je mây suis beaucoup identifiĂ©e parce que la grossophobie jâen ai subi au collĂšge et au lycĂ©e.
đ Certains romans font encore dĂ©bat, notamment ceux Ă©crits par Colleen Hoover, une autrice trĂšs prisĂ©e ces derniers temps. Vous en pensez quoi ?
R.PM. : Ce sont des dĂ©bats stĂ©riles. On peut avoir la mĂȘme chose dans la littĂ©rature dite classique et ça ne fait pas jaser autant. Alors que la romance est aussi girl power. Câest la femme qui dit et fait ce quâelle veut. Lâimage de lâhomme viril est aussi plus nuancĂ©e, il est plus Ă lâĂ©coute, dans le partage. Câest lĂ quâon voit que câest Ă©crit par les femmes.
đLa recommandation au creux de lâoreille
La recommandation de Marie Wietzorrek : Zombie Boy de Morgane Rugraff
Certains, parfois Ă juste titre, ont souvent reprochĂ© Ă la romance ses clichĂ©s. Dimanche dernier, lâune dâentre nous est tombĂ©e, en zappant les chaĂźnes tĂ©lĂ©visĂ©es, sur la rediffusion du premier volet de Cinquantes Nuances de Grey tirĂ© du roman du mĂȘme nom. Alors quâĂ lâadolescence rien ne lâavait choquĂ©e, la relation entre Anastasia et Christian lâa perturbĂ©e, notamment la maniĂšre dont il prend les dĂ©cisions Ă sa place, vendant sa voiture, contrĂŽlant son alimentation...
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